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Introduction.
Il y a cinq ans, je
découvrais, un peu par hasard, le cinéma
de Patrick Bokanowski. Tout d’abord séduit
par Déjeuner du Matin puis par la
femme qui se poudre, deux courts métrages,
je me suis mis en quête de l’Ange,
son long-métrage. Il m’a fallu un certain
temps avant de le trouver ; et quelque temps encore avant
de me décider à le visionner. Il est resté
posé à l’endroit où je l’avais
laissé, comme un de ces cadeaux que l’on
regarde du coin de l’oeil avant de se décider
à l’ouvrir en imaginant oh ! combien savoureux
doit être le trésor qu’il renferme
; autour duquel on tourne et retourne, indécis,
laissant l’impatience nous chatouiller ; pour sentir
l’excitation monter et choisir le moment idéal
pour l’ouvrir enfin, lentement, un peu fébrile.
Finalement je me suis décidé.
Etais-je particulièrement bien disposé ?..
Le moment s’y prêtait-il ?.. Après
soixante-dix minutes, la magie avait opéré.
J’étais resté passif spectateur, comme
on peut l’être, fasciné, envoûté,
devant un feu de bois, l’Ange
m’avait parlé. J’avais découvert
entre ce film et moi des correspondances évidentes
: ses qualités esthétiques et plastiques,
son caractère rythmique et sa dimension symbolique.
Depuis, je n’ai eu de cesse de le partager avec
des amis (avec ou sans succès) ou de me le repasser
pour moi-même. Et chaque fois j’y ai trouvé
un détail, une facette ou une signification qui
m’avait échappé. Pour chacune de mes
humeurs, chaque état d’esprit du moment,
le film prenait une envergure nouvelle. J’étais
à chaque fois surpris. Or rien n’est plus
précieux qu’une oeuvre qui a le pouvoir de
surprendre et par la même, d’exciter l’intelligence.
N’ayant eu alors qu’une très maigre
expérience en matière de cinéma dit
expérimental, je me suis demandé comment
j’avais pu aussi facilement rentrer dans l’univers
de l’Ange, et rester captivé
pendant toute la durée du film sans avoir été
dérangé ou lassé de n’avoir
décelé aucune trace de suspens, de dialogues,
ni aucune narration apparente (ce à quoi je me
serais d’ordinaire raccroché en découvrant
un film). A cela j’ai trouvé deux raisons
: le film est constitué de différentes pièces
(ou fragments), ce qui rompt une monotonie possible en
rythmant le film ; et l’attitude “ passive
” et “ docile ” avec laquelle j’avais
décidé d’emblée de subir le
film m’y a rendu plus perméable.
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En regardant l’Ange,
je me laissais bercer par le flot des images et du rythme
sans jamais vraiment savoir ce qui pouvait maintenir mon
attention. A la fin du film, j’ai compris que j’avais
été séduit successivement par diverses
scènes distinctes, différents tableaux,
me plongeant chacun dans une ambiance différente.
A première vue, le découpage n’est
pas forcément net car l’univers de P Bokanowski
reste un univers plastique cohérent. Mais L’Ange
est bel et bien constitué de fragments.
Il est en fait une succession d’expérimentations
et d’essais cinématographiques réalisés
entre 1977 et 1982. Pour en faire un long-métrage,
chaque séquence a été montée
autour du thème récurrent d’un escalier,
(quel meilleur squelette à un édifice),
placée dans un ordre qui semble comme signifier
différents niveaux d’une ascèse initiatique
mystérieuse.
Quant à l’attitude
avec laquelle j’abordais la lecture du film, je
la qualifiais plus haut de “ passive ”. (Bernardo
Bertolucci dit : “ Le spectateur idéal
au cinéma est un spectateur très passif
qui réussit à trouver dans l’heure
et quarante-cinq minutes de la projection le temps de
dormir au moins dix minutes, de rêver pendant ces
dix minutes et de vaincre ainsi sa propre passivité.
”. Or qui, plus que moi, a l’esprit enclin
à la rêverie ? Je devrais donc plus précisément
dire contemplatif… Je suis, en découvrant
(ou en redécouvrant) ce film, en contemplation
: comme un enfant, naïf, devant un objet qui lui
semble totalement nouveau, beau et fascinant. Je me laisse
envahir par les bribes d’éléments,
d’événements et de signes auquel je
pourrais me raccrocher, par lesquels je pourrais me laisser
toucher ou émouvoir, comme j’aime à
le faire devant une oeuvre artistique moderne ou contemporaine,
qu’elle soit de nature picturale, musicale ou littéraire.
Le cinéma (et de surcroît le cinéma
expérimental) a été décrit
par de nombreux critiques comme un terrain de recherche
artistique d’autant plus riche qu’il est un
pont, un lieu de rencontre privilégié entre
de nombreux arts (CF : le cinéma autrement
de D. Noguez). Or rien n’est moins vrai dans l’Ange
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